Mon but, en publiant cet article n'est pas de provoquer une polémique. Je ne suis pas un spécialiste de la géopolitique et pas plus de la politique extérieur.
AFP, publié le vendredi 18 janvier 2019 à 13h05
On peut être premier ministre et "instagrameur" compulsif: pour apaiser les protestataires ou ridiculiser l'opposition, l'Albanais Edi Rama use (abuse disent ses adversaires) des réseaux sociaux dont il est une star dans les Balkans.
Mi-décembre, après un refus d'étudiants protestataires de venir négocier dans son bureau, il poste une animation le montrant engagé dans une danse du ventre endiablée au son d'un tube de variété albanaise: "Je t'attends comme toujours/Tu me dis: +Ne m'attends pas+. J'espère encore (...) car je sais que tu viendras un jour".
Un député de droite lui jette un œuf une semaine plus tard? Il rétorque avec une poule pondeuse affublée du visage du patron de la droite, Lulzim Basha, dont le parti boycotte le Parlement depuis des mois.
Il coiffe volontiers d'une citrouille son autre bouc-émissaire, l'ancien président Sali Berisha, son pire ennemi politique. Celui-ci le traite de "voleur psychique lié au crime organisé", Edi Rama colle le visage de son adversaire de 74 ans, au corps de la chanteuse américaine Meghnan Trainor et le fait se trémousser sur "All about that bass".
Résultat: sur les réseaux sociaux des Balkans, Edi Rama, qui poste indifféremment des images privées et des photos de ses rencontres avec d'autres chefs d'État, c'est Gulliver au pays des Lilliputiens.
Il a plus d'1,1 million d'abonnés Facebook, deux fois plus que Lulzim Basha. Le rapport de force est encore plus déséquilibré sur Twitter (329.000 contre 6.200) ou sur Instagram (264.000 abonnés, soit quatre fois plus). Le patron de l'autre puissance régionale des Balkans occidentaux, le Serbe Aleksandar Vucic ne peut rivaliser.
"Rama utilise l'humour comme une arme politique à double tranchant: pour apaiser la situation et intimider l'adversaire", explique Iris Luarasi, experte en communication politique.
Le style choisi par cet artiste-peintre de 54 ans est souvent percutant et efficace. A un citoyen critique, il explique ne pas avoir de "baguette magique pour refermer instantanément les plaies que les autres ont ouvertes en Albanie depuis un demi-siècle".
"Je peux être ironique ou sarcastique mais vous ne m'avez jamais entendu et ne m'entendrez jamais porter des accusations outrageuses", a dit aux étudiants Edi Rama lors d'un récent débat télévisé.
Il fait montre de moins d'urbanité avec ses adversaires... Après l'épisode de l'œuf au parlement, le tweet d'@ediramaal est autrement plus violent que son post sur Instagram: "Pendant les mois de boycott, leurs députés ont dû tuer le temps en violant les poulets pour piller les œufs".
Quand un citoyen lui demande sur Facebook si le ton qu'il emploie sur les réseaux sociaux n'est pas hors de propos pour un responsable de son niveau, Edi Rama rétorque: "Mieux vaut un Premier ministre qui fait de l'humour qu'un Premier ministre qui tue, qui vole, qui ravage son pays", allusion à la droite qu'il a chassée du pouvoir en 2013.
Sollicité par l'AFP, son service de communication a refusé de s'exprimer sur le sujet. Mais le responsable assure qu'il gère lui-même ses comptes, jusque tard dans la nuit, assurant y trouver du plaisir, au-delà même de sa propre mort: "Dans l'au-delà, vous trouverez un Premier ministre qui répondra à chaque message sur Whatsapp et vous préparera des Instastories", écrit-il sur Facebook.
Mais c'est surtout une manière de court-circuiter des médias traditionnels. "Il assure lui-même le rôle d'éditorialiste (...) et de polémiste", explique Aleksander Cipa, patron de l'Union des journalistes. "Il n'essaie pas d'écouter, juste de convaincre qu'il a raison", regrette son confrère Lutfi Dervishi.
Qui suit Edi Rama sur Facebook, a de bonne chance de commencer sa journée par un "Mirëmengjes" du Premier ministre pour l'inviter à une allocution en direct.
A "Bekim", un internaute qui lui explique que son activisme sur Facebook lui vaudrait un limogeage immédiat en Suisse, il rétorque: "Parler avec son peuple est un devoir, pas une perte de temps... Ne t'inquiète pas, quand j'ai commencé à utiliser Twitter, les politiques suisses n'avaient pas encore de compte". Et de conclure: "Ne gaspille pas avec des bêtises l'opportunité de communiquer avec moi. Peut-être peut-on parler de quelque chose d'utile".