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L'enjeu est clair: l'unification européenne affaiblit les États-nations qui structurent l'Europe depuis le 17 ème siècle et donc les identités nationales qui sont le cadre dans lequel la démocratie s'est développée. Ce processus s'accompagne de deux phénomènes connexes: le flux migratoire en provenance du monde musulman africain dont l'intégration n'est plus possible du fait de l'affaiblissement de l'identité nationale, ce qui provoque nécessairement en retour un repli sur soi des différents secteurs de populations: la communalité se retrouve pulvérisée. Par ailleurs, au-delà de la bureaucratisation qu'a connue l'Union Européenne, aucune identité européenne ne s'est forgée, ce qui se traduit par le fait qu'au sommet de l'Union il n'y a aucun pouvoir personnifié. Le groupe des présidents est au plus une autre commission bureaucratique, et si, à la rigueur, le duo Merkel-Macron (avec une si faible assise électorale dans leurs pays respectifs), donne un visage quelconque à cet entassement d'États, ce dédoublement même souligne la faiblesse du pouvoir en question. En somme, l'Union européenne apparaît comme un empire sans empereur et sans le culte adéquat à un tel régime , un culte de la personnalité capable de maintenir ensemble des territoires aussi contrastés qu'immenses. «Jupiter» n'y suffit pas...
La nature morphologique de l'Union européenne implique en effet un ordre du pouvoir qui n'est plus celui de l'État-nation démocratique sans être pourtant celui de l'empire. D'un côté, la forme empire est à l'œuvre, ce qu'illustrent par exemple la faiblesse et le flou des frontières, les marges trop loin du centre, l'absence de langue commune, la faiblesse du centre conjuguée avec son poids bureaucratique, un régime politique, pourrait-on dire, post-démocratique, c'est-à-dire non démocratique. Aucun ajustement de la réalité aux besoins demandés par l'évolution n'a été fait. Une profonde division sépare les élites européennes, engagées dans le cadre européen, de larges secteurs de la population, dans la quasi-totalité des États membres-delà de la bureaucratisation qu'a connue l'Union Européenne, aucune identité européenne ne s'est forgée.
Ce qui est en jeu, à travers l'afflux massif de populations étrangères qui forcent les frontières de l'Union, c'est le statut des États et des nations dans une Union incertaine sur le plan de la légitimité et du sens. Ce qui est en jeu, c'est le régime éventuel de l'Union par-delà la démocratie qui, depuis ses origines, s'est développée dans le cadre des Etats-nations. Ce sont des questions très lourdes qui sont posées. Elles ne peuvent être rejetées par des invectives. Un pouvoir de type impérial n'a rien de «progressiste» et l'opinion soucieuse de la nation et de l'identité nationale n'a rien à voir avec le nationalisme. Elle se soucie avant tout de la continuité de la démocratie.
Dans cette évolution du cadre global de la vie en Europe, en France, comment les choses se présentent-elles pour les Juifs? Voyons d'abord les faits. C'est dans le cadre de l'UE qu'est né et s'est développé le «nouvel antisémitisme» qui en est inséparable. Il est inhérent à l'UE, à la fois du fait de ses fondations idéologiques (la mémoire de la Shoah qu'elle a développée (et qui implique un surinvestissement symbolique de l'État d'Israël), en lien avec sa politique musulmane en son sein et en Méditerranée). L'UE trouve sa légitimité dans une mémoire de la Shoah qui assigne les Juifs à la victimitude et voue donc nécessairement l'État d'Israël à une souveraineté conditionnée.L'UE trouve sa légitimité dans une mémoire de la Shoah qui assigne les Juifs à la victimitude.
Un lien est fait entre l'Israël souverain, le peuple juif victime et les Palestiniens, «victimes des victimes» (Edward Said). Ce syndrome obsessionnel (l'UE a totalement adopté le narratif de l'OLP et presque celui du Hamas) ouvre la voie à toutes sortes de dérapages et d'abus et retentit sur les Juifs locaux de façon très négative. Il suscite avant tout la fureur des populations musulmanes, encouragées à manifester leur antisionisme très ancien, rendu légitime par un discours journalistique et officiel qui met toujours en cause Israël, au nom des «droits de l'homme» - que l'Union se croit incarner à elle seule (tout en accordant son soutien à l'Iran qui clame chaque matin son projet de détruire Israël!). Cette attitude crée l'ambiance générale d'une inimitié et d'une animosité de principe envers les Juifs, qui offre un lit favorable au développement d'un antisémitisme ambiant, en provenance, dans ses motivations, d'Afrique du Nord et du Moyen Orient.
C'est sur le plan de la condition citoyenne que l'unification européenne met en danger la condition juive, appelée à passer obligatoirement du statut de citoyen national au statut de minorité religieuse transnationale. Sur ce plan-là, les Juifs sont condamnés à subir le même recul de la citoyenneté individuelle que leurs concitoyens, mais avec le caractère aggravant qui fait que le statut juif ne sera plus national mais «religieux». Or, ce statut de «minorité» constitue une terrible régression sur le plan de l'égalité des droits. C'est un ghetto soft qui ressemble à ce que fut la condition des Juifs dans l'empire ottoman. C'est une régression de la liberté des individus et de l'égalité car la société «européenne» fonctionnera sur la base de quotas et non du mérite individuel. Les Juifs jouiront d'une égalité adéquate à leur pourcentage dans la population. sans compter que «le vivre ensemble», sans le liant national, ne sera qu'un entassement de communautés engagées dans des rapports de force inéluctables (petites et grandes minorités...).
Citation:
l'Union européenne ne manque pas une occasion de manifester son inimitié envers l'État d'Israël
Enfin, un autre signe ne trompe pas: l'Union européenne ne manque pas une occasion de manifester de la façon la plus sournoise son inimitié envers l'État d'Israël dans toutes les arènes internationales, ce que ses votes vérifient. Elle se tient décisivement aux côtés du monde arabe et de l'Iran. Son discours morigène sans cesse Israël et le tance du haut d'une morale qu'elle n'incarne pas dans la réalité de sa politique, dont la vente d'armes à des dictatures n'est pas le moindre des traits.
L'impasse
Le problème du choix entre «progressistes» et «nationalistes» (populistes, fascistes, etc) n'est cependant pas facile pour les Juifs. S'ils choisissent les premiers, par horreur du «fascisme», ils se retrouvent avec des amis douteux sur le plan de la lutte contre l'antisémitisme, notamment islamique et de leur credo politique (prônant la fin de l'État-nation républicain en France). S'ils choisissent les seconds, ils feraient le choix le plus immédiatement efficace pour la condition juive ( l'assurance que l'islamisme politique, principale menace, sera réprimé) mais ils se retrouveraient avec des partis, même rénovés, dont les origines et les fondements restent problématiques sur le plan du rapport aux Juifs. Cela n'a pas empêché par exemple en Allemagne qu'un cercle juif se soit créé dans l'AFD. Mais, de l'autre côté, leur rapprochement avec les «progressistes» les mettra mal à l'aise sur la question d'Israël car les «progressistes» sont pro-palestine et pro-islam: l'islamo-gauchisme est le principal foyer aujourd'hui de l'antisémitisme. Par contre, ils trouveraient plus de soutien d'Israël auprès des «nationalistes» qui ont plus de raisons de comprendre la situation d'Israël face à l'hostilité du monde arabo-musulman.
Citation:
L'islamo-gauchisme est le principal foyer aujourd'hui de l'antisémitisme
Il est, à ce propos, fort possible que dans un avenir pas si lointain la droite européenne, dans un mouvement de balancier, se rapproche d'Israël. Nétanyahou l'a bien compris en nouant des rapports plus étroits avec le bloc de pays européens qui s'opposent à la politique des «progressistes» dans l'UE, et notamment l'alliance avec le «Groupe de Wisegrad» qui réunit des pays que les élites européennes de l'ouest qualifient de «fascistes» ou de «populistes» et récemment avec les États des Balkans qui se souviennent de la domination ottomane.
Une autre dimension est importante, en France notamment et en Grande Bretagne, c'est que l'extrême gauche pose désormais aux Juifs un problème aussi important sinon plus que l'extrême droite car elle est versée dans l'islamo-gauchisme (que l'on pense aux travaillistes de Jeremy Corbin). Deux des trois camps opposés à l'effacement des États dans l'unification européenne, et dans lesquels les Juifs pourraient trouver un appui, s'avèrent ainsi très problématiques pour eux. C'est une impasse majeure, on y va de Charybde en Scylla. Plus généralement, le fait que l'extrême gauche rejoigne l'extrême droite est éminemment inquiétant sur le plan de la menace antisémite. Il y a un précédent: à la fin du XIX° siècle.
Le coup du CRIF est-il encore possible?
La campagne des élections européennes ressuscite, déjà, en France, avant même de commencer, le dilemme qui stérilise la vie politique française depuis 30 ans et maintenant la politique européenne: «X ou Le Pen /AFD, etc?», «tout pour barrer Le Pen!».
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Alors, lutter contre «l'antisémitisme», devenait lutter contre le racisme anti-arabe.
C'est ce dispositif qui a assuré son élection à Macron qui, peu avant son débat avec Marine Le Pen, était allé visiter Oradour et le Mémorial du martyr juif: suivez mon regard... Il n'y a pas meilleure instrumentalisation de la mémoire de la Shoah. Or, les Juifs de France sous le sigle du CRIF, ont été depuis les années 1990 les principaux acteurs et arbitres de ce dilemme.
Les origines de cet état de faits sont complexes. Je l'ai définie dans quelques livres. Cette posture s'était développée dans la résurrection du «Front antifasciste» d'avant-guerre, imaginé par Mitterrand à la fin des années 1980 pour renforcer le PS et affaiblir la droite. Le CRIF fut alors lourdement instrumentalisé par le Pouvoir pour accréditer la réalité de la menace antisémite émanant du FN - dont Mitterrand avait fait son vis-à-vis exclusif pour réunir ainsi autour du PS déclinant «les républicains», dans l'objectif de conserver le pouvoir. Il fallait, pour ce faire, amplifier la menace du FN, et la faire accréditer par ses victimes électives alors, la communauté juive. L'opération mitterrandienne impliqua la création de la mouvance de SOS Racisme dans laquelle l'UEJF de l'époque joua un très grand rôle sur le plan de l'opinion publique au point de se voir étroitement associée au CRIF dans toutes sortes d'occasions. Elle confirmait la crédibilité de «la lutte contre l'antisémitisme» alors que SOS Racisme avait comme finalité d'embrigader les Beurs, juste au sortir de la «marche des Beurs», premier acte politique de la population immigrée, contre le «racisme anti-immigrés». C'est la première fois qu'on assimilait ce racisme (qui deviendra «l'islamophobie») à l'antisémitisme et donc que l'on mettait en balance l'antisémitisme d'extrême droite et le racisme anti-arabe, la première fois que l'on définissait le problème de l'immigration en termes de racisme plutôt qu'en termes politiques, la première fois que l'on établissait l'équivalence «Juifs-arabes/immigrés» et donc l'interchangeabilité des conditions.
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La lutte contre l' « islamophobie» cachera la lutte contre l'antisémitisme.
Alors, lutter contre «l'antisémitisme», devenait lutter contre le racisme anti-arabe. 20 ans plus tard, c'est la lutte contre l'»islamophobie» qui cachera ou démobilisera la lutte contre l'antisémitisme qui se manifestait dans la population que défendait SOS Racisme.
C'est ce qui explique pourquoi le système symbolique mis en place ne permit pas plus tard de rendre compte de ce nouvel antisémitisme qui s'était développé dans le milieu de l'islam politique ou identitaire plutôt que dans le milieu de l'extrême-droite. C'est ce que vérifia l'année 2001 avec les 500 agressions antisémites perpétrées par des ressortissants des milieux de l'immigration, restées objet d'une censure totale de l'État comme de la société et des médias.
Si Le CRIF avait pour tâche de justifier la stratégie du Front antifasciste, l'UEJF comme acteur de SOS Racisme eut pour tâche de la sanctuariser, de la «judaïser» en transférant la charge symbolique de l'antisémitisme à l'islamophobie. Si le CRIF devenait le gardien de la républicanité, il transférait en fait ainsi à la supposée «communauté de l'immigration» le statut (dans l'ordre des valeurs) de la «communauté juive» d'après-guerre. La stratégie mitterrandienne installa ainsi sur le plan symbolique la» communauté de l'immigration» dans le lieu (symbolique) même de «la communauté juive». Ce ne fut pas simplement un enjeu de prestige et de justification mais aussi un enjeu aux graves conséquences qui explique pourquoi dans les années 2000, on ne voulut pas reconnaître la réalité de l'antisémitisme sauf quand il venait du FN, alors qu'il s'agissait d'un antisémitisme provenant exclusivement des milieux que la lutte contre l'islamophobie défendait, au nom de la lutte contre... l'antisémitisme: le comble de la confusion. La «communauté» et la lutte contre l'antisémitisme disparaissaient derrière la «communauté de l'immigration» et la lutte contre «l'islamophobie», deux développements dont le CRIF et l'UEJF furent les artisans zélés.