Croyez-vous que les discours marquants ont été sereinement préparés dans le cadre feutré des palais de la République ? C’est rarement le cas, comme le montre l’intervention de Dominique de Villepin, ministre des Affaires étrangères, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, le 14 février 2003. Au centre des débats, la guerre en Irak voulue par les Américains, à laquelle le président Jacques Chirac se montre fermement opposé. C'est donc Villepin qui est chargé d'exposer la position de la France au Conseil de sécurité.
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« Son discours n'a pas été préparé avec une méticulosité particulière, affirme Pierre Vilmont, directeur de cabinet du ministre. Il s'inscrivait dans une série de plusieurs discours sur le même thème. Nous n'en discutons que très peu de temps avant, pratiquement la veille » Le conseiller technique Christophe Farnaud, spécialiste du Moyen-Orient, prépare une première trame, revue par Pierre Vimont et son adjoint François Delattre qui y travaille une partie de la nuit.
À l'aube, Villepin est encore à Paris alors que son discours est programmé quelques heures plus tard à New-York. Il lit le texte qui lui est présenté ; il ne le satisfait pas. « Il faut du souffle », lance-t-il en faisant des moulinets avec ses bras. « Je me rends compte qu'il manque au discours, au-delà d'une partie diplomatique épurée, une mise en perspective plus historique et personnelle, lui conférant une épaisseur indispensable », témoigne-t-il dans le livre de Michaël Moreau.
Il dicte alors à sa secrétaire le passage qui restera dans l'Histoire : « Et c'est un vieux pays, la France, d'un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit, qui a connu des guerres, l'Occupation, la barbarie. Un pays qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’il doit aux combattants de la liberté venus d’Amérique et d’ailleurs et qui pourtant n’a jamais cessé de se tenir debout face à l’Histoire et devant les hommes. Fidèle à ses valeurs, il veut agir résolument avec tous les membres de la communauté internationale. Il croit en notre capacité à construire ensemble un monde meilleur. »
« Cette dernière partie me permet de rentrer tout entier dans le discours. Issu d'une famille de militaires qui a pu mesurer dans sa chair la gravité des enjeux, je souhaite donner la plus grande force et vérité possibles à ma démonstration », commente Villepin. Il ne reste plus au ministre qu'à prendre le Concorde qui le conduit à New-York en trois heures et demie, le temps de modifier encore quelque peu le discours avec son conseiller Bruno Le Maire qui l'accompagne et qui transmet par téléphone les dernières retouches au directeur de cabinet à Paris.
Mais Villepin est alors saisi par un doute concernant le lyrisme de sa déclaration sur « le vieux pays ». N'a-t-il pas heurté Chirac à qui le discours a été transmis ? Vilmont le rassure à l'autre bout du fil : Chirac n'a émis aucune objection. Dans cette course contre la montre, les ultimes corrections sont portées avant que la version définitive ne soit envoyée aux diplomates français sur place qui le remettent au ministre à son arrivée dans la salle du Conseil de sécurité de l'ONU au terme d'un processus rocambolesque accompli dans l'urgence grâce aux techniques de communication modernes.