Dossier spécial : affaire DSK
Le 16/05/2011 - Maëlle Boudet
Depuis l'inculpation de Dominique Strauss-Kahn pour agression sexuelle, tentative de viol et séquestration, de nombreuses questions se posent. Que s'est-il vraiment passé ? Que risque le patron du FMI ? Quel sont ses antécédents ? Quelles seront les conséquences de cette affaire ? Planet.fr fait le point pour vous.
Rappel des faits
Samedi, sur les coups de 12h heure locale (19h en France), une employée du Sofitel de Time Square à New-York pénètre dans la suite 2806 pour y faire le ménage. Alors qu’elle pensait la chambre à 525 dollars la nuit vide, la jeune femme de 32 ans se serait retrouvée face à l’occupant de la suite, Dominique Strauss-Kahn, sortant nu de la salle de bains.
Double tentative d'agression
La femme de ménage se serait alors excusée et aurait essayé de quitter la pièce. D’après la police, l’actuel président du Fonds Monétaire International (FMI) l’aurait attrapée par le bras et enfermée dans la chambre. Ce dernier aurait alors tenté de l’agresser sexuellement par deux fois, d’abord sur le lit puis dans la salle de bain, avant que la victime présumée ne parvienne à s’échapper.
La jeune femme - employée modèle de l’hôtel depuis 3 ans - aurait aussitôt prévenu sa direction qui aurait immédiatement alerté les autorités. A leur arrivée, vers 13h30, la police aurait constaté le départ de Dominique Strauss-Kahn que plusieurs témoins auraient vu passer par la réception entre 12h28 et 12h38 avant de quitter les lieux.
Une tentative de fuite ?
Plus tard dans l’après-midi, un employé de l’hôtel affirme que DSK aurait appelé la réception au sujet d’un téléphone portable qu’il pense avoir oublié dans la suite. Selon les injonctions de la police alors présente, l’employé aurait alors prétendu avoir retrouvé le téléphone et demandé à DSK à quel endroit il se trouvait pour envoyer quelqu’un lui remettre. C’est ainsi que la police américaine aurait appréhendé DSK à l'aéroport JFK de New York, à bord d’un vol Air France, quelques minutes à peine avant le décollage prévu à 16h30 heure locale.
Dominique Strauss-Kahn a depuis été entendu près de 30 heures dans un commissariat de Harlem
où d’après ses avocats "il va bien" et nie vigoureusement les accusations portées à son encontre.
Il a comparu lundi devant un juge du tribunal de Manhattan. Le parquet a demandé trois peines de prison pour les trois crimes dont DSK est accusé : 25 ans, 15 ans et 7 ans (les peines étant cumulables aux Etats-Unis). Selon le parquet, les rapports des experts confirment la version de la femme de chambre.
La juge du tribunal de Manhattan a finalement décidé de refuser la mise en liberté sous caution et de mettre Dominique Strauss-Kahn en détention préventive jusqu'au 20 mai. Mais DSK devrait à nouveau être jugé dans la semaine afin de décider d'une éventuelle mise en liberté sous caution. A l'inverse du premier jugement, ce jugement devrait se faire sans public.
Selon l'accusation, DSK pourrait être accusé de faits similaires, à au moins une reprise.
Quels sont les risques judiciaires pour DSK ?
En tant que patron du Fonds Monétaire International (FMI), Dominique Strauss-Kahn bénéficie d'une immunité diplomatique. Mais elle pourrait ne pas s'appliquer dans cette affaire puisque cette immunité exige que les faits reprochés se soient déroulés dans le cadre de ses fonctions officielles. Or, le siège du FMI se situant à Washington, on ne sait pas réellement si son séjour à New York entrait dans le domaine professionnel. Quoi qu'il en soit, s'il obtenait l'immunité, elle ne pourra en aucun cas valoir pour la séquestration.
Obligé de rester sur le territoire ?
APrès la décision de la juge, DSK reste en détention provisoire. Elle a estimé que le patron du FMI ne présentait pas les garanties nécessaires quant à sa présentation au procès. Pourtant, dans le cadre de procès visant des étrangers, des exceptions sont possibles, comme ce fut le cas pour Roman Polanski, autorisé à voyager en Europe pour un tournage.
Selon Christopher Mesnooh, avocat à New York, interrogé par France Soir, il était "inconcevable que Dominique Strauss-Kahn soit incarcéré".
Dans les colonnes du Figaro, un autre avocat de Washington précisait que "si c'était un citoyen ordinaire, l'interdiction de voyager serait plus que probable, mais dans le cas de Strauss-Kahn, une personnalité politique ultraconnue, peut-être sera-t-il autorisé à le faire". La juge américaine en a décidé autrement.
Jusqu'à 47 ans de prison
S'il est finalement condamné, la peine de prison que pourrait devoir subir DSK dépend de la charge retenue contre lui. Elle pourrait aller jusqu'à 47 ans de prison (25 + 15 +7 ans). Le parquet demande une peine entre 5 et 25 ans de prison.
Les principales réactions à l'inculpation de DSK
Dès dimanche matin, le monde politique et médiatique a commenté la nouvelle de l'inculpation de Dominique Strauss-Kahn pour agression sexuelle, tentative de viol et séquestration. Planet.fr a séléctionné pour vous les principales réactions :
- François Baroin (porte-parole du gouvernement) : il faut "être d'une extraordinaire prudence dans l'expression, dans l'analyse, dans les commentaires et dans les conséquences" visant les accusations contre DSK. "La position du gouvernement français respecte deux principes simples : celui d'abord d'une procédure judiciaire en cours, sous l'autorité de la justice américaine [...], et puis le respect de la présomption d'innocence".
- Martine Aubry (première secrétaire du PS) : il faut "respecter la présomption d'innocence" et "garder la décence nécessaire". "Les nouvelles qui nous parviennent [...] sonnent à l'évidence comme un coup de tonnerre. Je suis, comme tout le monde, totalement stupéfaite". "J'en appelle à attendre la réalité des faits, à respecter la présomption d'innocence et à tous de garder la décence nécessaire".
- Marine Le Pen (candidate FN à la présidentielle) : "Il y a un faisceau de présomptions assez graves puisqu'il a entraîné l'inculpation de M. Strauss-Kahn, ce qui ne nuit pas d'ailleurs à la possibilité pour lui de se défendre et à la présomption d'innocence qui reste intacte. Mais la vérité, et tout le monde le sait, c'est que Paris bruit depuis des mois, sinon des années, dans les milieux politiques ou journalistiques des relations assez pathologiques qu'entretient M. Strauss-Kahn à l'égard des femmes".
- Anne Sinclair (son épouse) : "Je ne crois pas une seconde aux accusations qui sont portées contre mon mari. Je ne doute pas que son innocence soit établie. J'appelle chacun à la décence et à la retenue".
- François Hollande (candidat à la primaire PS) : "Il y a eu une inculpation, mais qui n'est pas une preuve de culpabilité". "Il faut faire très attention, il faut se garder de toute conclusion prématurée [...] peut-être que cette affaire peut se dénouer très vite, si l'on apprend qu'il n'y a finalement aucune charge sérieuse".
- Ségolène Royal (candidate à la primaire PS) : "Attendons que la justice fasse son travail et ne transformons pas cet événement en feuilleton politique".
- Jean-Marie Le Guen (député PS proche de DSK) : "Ce type de comportement n'appartient absolument pas de près ou de loin à la culture de DSK". "Les faits, tels qu'ils sont rapportés aujourd'hui, n'ont rien à voir avec le Dominique Strauss-Kahn que l'on connaît".
- Bernard Tapie (ancien ministre) : Cette affaire peut "évidemment" être un coup monté. "Je sais ce que c'est la politique qui décide de vous flinguer. Je dis qu'il faut attendre pour le moins qu'on ait la preuve, qu'on ait la certitude, c'est trop grave. Ca me paraît tellement incroyable. Il faudrait qu'on se précipite un peu moins".
- Bernard Debré (député UMP) : "C'est terrible, c'est humilier la France que d'avoir un homme qui se vautre dans le sexe - et ça se sait depuis longtemps".
- Christine Boutin (présidente du Parti chrétien-démocrate) : Je pense vraisemblablement qu'on a tendu un piège à Dominique Strauss-Kahn et qu'il y est tombé".
Les conséquences pour le FMI et la politique française
En France, l'arrestation et l'inculpation de DSK sonne comme une très mauvaise nouvelle pour le PS. Le seul candidat du parti qui, selon les sondages, semblait pouvoir battre Nicolas Sarkozy à coup sûr (s'il se représente) risque de sortir définitivement de la course très rapidement.
Cependant, François Hollande pourrait être celui à qui profitera le plus cette défection. En effet, dans les sondages, c'est lui, après DSK, que les Français souhait(ai)ent voir représenter le PS.
Les choses pourraient aussi changer pour Martine Aubry. DSK et la première secrétaire du PS s'étaient mis d'accord par un pacte selon lequel seul le candidat le mieux placé pour gagner se présenterait aux primaires. Jusqu'ici, il semblait évident que Martine Aubry ne se présenterait donc pas, mais, si DSK se retrouve dans l'impossibilité de se porter candidat, elle pourrait le faire.
Et pour les autres partis ?
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'inculpation de DSK n'est pas une si bonne nouvelle que ça pour Nicolas Sarkozy. En effet, il semblait presque acquis que le candidat PS serait DSK, et pour l'Elysée, il s'agissait d'un candidat avec des failles : un côté bling-bling peut-être dérangeant, une réputation de séducteur... Des aspects de DSK que les proches de Nicolas Sarkozy auraient pu attaquer.
Pour Marine Le Pen, la nouvelle n'est pas mauvaise, au contraire : elle reste peut-être l'une des alternatives les plus envisageables face à Nicolas Sarkozy.
Au centre, la mise à l'écart de DSK pourrait également être favorable. En effet, le patron du FMI est plutôt marqué à droite de la gauche, donc assez proche du centre. Si le candidat PS s'oriente beaucoup plus à gauche, cette frange de la population pourrait se tourner vers le(s) candidat(s) du centre.
Pas encore de réels bouleversements au FMI
Dès dimanche, le Fonds Monétaire International a affirmé que l'inculpation de Dominique Strauss-Kahn ne l'empêcherait de fonctionner. Comme cela est prévu par les statuts du FMI, John Lipsky, le numéro 2 de l'organisation, assure l'intérim en attendant que la situation s'éclaircisse un peu. Mais ne cachons pas que ce remplacement tombe à un mauvais moment.
Dominique Strauss-Kahn devait en effet assister à plusieurs réunions ces prochains jours pour discuter d'un possible second plan pour sauver la Grèce. DSK lui-même avait beaucoup donné pour que le FMI et l'Union Européenne apportent une aide conjointe. D'ici quelques jours, DSK devait aussi participer activement au G8 organisé à Deauville. Une absence qui risque de bouleverser quelque peu l'organisation du sommet.
Dans le monde financier, on sait déjà que si DSK devait quitter ses fonctions au FMI, il ne sera pas remplacé par un Européen. On s'y attendait déjà, avec une volonté des pays émergents d'y voir l'un de leurs représentants, mais on murmurait tout de même le nom de Christine Lagarde comme potentielle remplaçante de DSK. Aujourd'hui, on sait que les Américains ne feront pas de cadeaux aux Européens.
De toutes façons, beaucoup s'accordent à dire que même blanchi, si Dominique Strauss-Kahn devait rester à son poste, il n'aurait plus la même autorité sur ses collaborateurs.
Les "précédents" de Dominique Strauss-Kahn
Ce n'est pas la première fois que Dominique Strauss-Kahn est impliqué dans une affaire de moeurs.
En février 2007, Tristane Banon, écrivain-journaliste, est invitée sur le plateau de l'émission 93 Faubourg Saint-Honoré, présentée par Thierry Hardisson. Elle raconte alors sa rencontre avec un homme politique "connu", dont le nom est bipé à l'antenne. Elle raconte qu'en 2002, alors qu'elle travaillait à l'écriture de son livre Erreurs avouées (au masculin), elle fait la connaissance de cet homme, qu'elle traite de "chimpanzé en rut". Il aurait essayé de la forcer à avoir des rapports sexuels, et elle aurait refusé. "Quand on se battait, je lui avais dit le mot 'viol' pour lui faire peur, ça ne lui a pas fait peur plus que ça..."
Le jeune femme avait alors commencé des démarches, vu un avocat, mais sur les conseils de sa mère, elle n'était pas allée plus loin : "Je n'ai pas osé aller jusqu'au bout, je ne voulais pas être jusqu'à la fin de mes jours 'la fille qui a eu un problème avec un homme politique'". Pourtant, ce lundi 16 mars, l'avocat de Tristane Banon annonce que la jeune femme pourrait prochainement porter plainte contre Dominique Strauss-Kahn.
Relation consentie avec une subordonnée
Souvenez-vous, en 2008, l'histoire avait fait beaucoup de bruit. Dominique Strauss-Kahn avait risqué sa place de directeur du Fonds Monétaire International après avoir eu une relation avec une subordonnée, Piroska Nagy, chargée du département Afrique au FMI.
A l'époque,une enquête avait été lancée pour déterminer si la femme avait subi des pressions particulières ou un traitement de faveur, en rapport avec cette relation extra-conjugale. DSK s'excuse publiquement et assure qu'"à aucun moment je n'ai abusé de ma fonction de directeur général du Fonds."
Finalement, le FMI avait blanchi Dominique Strauss-Kahn. Mais en 2009, l'Express publie une lettre de Piroska Nagy dans laquelle elle accuse le patron du FMI : "Je pense que M. Strauss-Kahn a abusé de sa position dans sa façon de parvenir jusqu'à moi. Je vous ai expliqué en détail comment il m'a convoquée plusieurs fois pour en venir à me faire des suggestions inappropriées. Je n'étais pas préparée aux avances du directeur général du FMI [...] je me sentais maudite si je le faisais et maudite si je ne le faisais pas." A la fin de sa lettre, elle déclarait : "Je crains que cet homme ait un problème pouvant le rendre peu adapté à la direction d'une institution où des femmes travaillent sous ses ordres".