Martial Albar, ex-inspecteur assermenté des Services Vétérinaires et consultant en sécurité alimentaire, nous livre son expérience en tant que professionnel dans plusieurs abattoirs de France. Il décrit une situation qui l'a poussé à démissionner après 15 ans de service. Nous le remercions vivement d'avoir accepté de témoigner.
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Durant toute notre formation en inspection vétérinaire à Lyon Corbas en 1996 et 1997, nous allions nous former à l'abattoir Cibevial.
Nous y avons vu toutes les horreurs pratiquées par les négociants concurrents dans les écuries de l'abattoir (sabotage d'animaux vivants pour déprécier leur valeur marchande lors de l'inspection sur la chaîne) comme perforer les reins par des aiguilles à tricoter, introduire des bâtons avec des piquants au bout dans le vagin des vaches.
Sur la chaîne, nous avons vu toutes les maltraitances pour faire avancer les animaux jusqu'au piège à coup d'aiguillons électriques ou de barres de fer, tous les défauts d'étourdissement et les égorgements conscients, avec le retrait du masque et la section des antérieurs alors même que la vache avait perdu à peine 5 litres de sang.
Je ne parle pas des abattages rituels pratiqués avec des cadences élevées, des jets de sang de plus de 3 mètres lors de l'égorgement de bovins de 800 kgs.
J'ai réalisé 2 mois de stage à l'abattoir de Chaumont (Haute-Marne) où les conditions étaient déplorables, simplement atténuées par des cadences moins importantes. J'ai ensuite travaillé pendant plus de 3 ans (de 1998 à 2001) à l'abattoir de Pont Sainte-Marie (Aube), petit abattoir avec une équipe de 11 opérateurs.
J'y ai retrouvé les mêmes maltraitances sur la chaîne avec des étourdissements ratés, incomplets. Le sous-effectif du personnel, la cadence à tenir forçaient le personnel à ne pas se préoccuper de la condition animale.
Mais, en instaurant de bonnes relations avec l'équipe, j'ai pu leur demander d'améliorer considérablement la situation, notamment en éliminant les aiguillons et en attendant la saignée complète et donc la mort clinique avant de commencer à « travailler » la dépouille.
J'ai par la suite, de 2002 à 2010, effectué de nombreux remplacements à l'abattoir de Bonneville (Haute-Savoie) et réalisé l'inspection durant les fêtes de l'Aïd-el-Kebir à l'abattoir de Megève (Haute-Savoie).
Malgré les années qui passaient, l'évolution et les améliorations qui auraient dû être perceptibles, la situation avait en fait peu changé. L'abattoir de Megève (aujourd'hui rénové depuis 2012) était une catastrophe sanitaire et écologique, une tuerie digne du Moyen Âge au milieu du luxe extrême de Megève.
Ce que j'ai pu voir, subir, vérifier et confirmer en plus de 15 ans, c'est que les méthodes d' « étourdissement » ne sont absolument pas conçues pour « anesthésier » les animaux mais bien pour permettre d'assurer des cadences toujours plus élevées et sécuriser les opérateurs.
Les services vétérinaires exercent relativement correctement leurs missions en matière d'hygiène dans les abattoirs, en revanche très peu ou pas du tout en matière de protection animale. Mes ex-collègues et ma hiérarchie ont souvent été prudents ou réfractaires à faire appliquer les règles de protection animale, plus réfractaires encore à sanctionner les maltraitances et les infractions.
La première raison est de ne pas entraver commercialement le fonctionnement de l'abattoir et la seconde, surtout chez les inspecteurs masculins, de ne pas être taxés de « sensiblerie » à l'égard des animaux.
Les rares notes internes ou de service relatives à la protection animale ont été peu appliquées et proviennent de bureaucrates du Ministère qui n'ont soit jamais mis les pieds dans un abattoir, soit en situation de visite bien organisée, dans des conditions édulcorées.
- février 2016.