Légende guyanaise
Comment les couleurs vinrent aux oiseaux?...
Il était une fois, il y a très longtemps, un jeune indien qui répondait au nom de Wayni. Membre de la tribu des Wayanas, il vivait sur les bords du fleuve Maroni, en pleine forêt amazonienne.
Malgré son jeune âge, Wayni était déjà un fin chasseur, qualité fort appréciable pour laquelle il était reconnu. Chassant toujours en solitaire comme le voulait la tradition, il ne revenait jamais sans quelque proie pour nourrir sa famille. Mais de tous les animaux qu'il chassait, les oiseaux avaient sa préférence. Non qu'il aimât les manger, leur chair n'avait pas de goût particulier, mais la technique de chasse, difficile tant ces animaux sont méfiants et rapides, était délicate. Pourtant, chasser les oiseaux, ou plutôt chasser 'pour le plaisir' n'était pas bien vu, et sa mère le mettait souvent en garde :
- A force de chasser les oiseaux, il t'arrivera des malheurs.
Malgré l'abondance de la faune, la chasse était un art difficile dans cette forêt dense où le soleil a beaucoup de mal à percer. Il faut dire qu'en ces temps très anciens où se déroule cette histoire, les oiseaux n'avaient aucune couleur, et la tristesse de leur plumage (ils étaient blanc, mais d'un blanc 'triste') les rendait presque invisible.
En quittant ce village ce matin-là, Wayni se dirige vers les berges du fleuve où est amarrée sa pirogue. Alors qu'il s'apprête à la rejoindre, une pierre de couleur, puis 2, puis 10, puis 20 attirent son attention sur la berge… Rouges, vertes, bleues, oranges, jaunes, violettes, elles sont toutes plus resplendissantes que les autres. Wayni n'en croit pas ses yeux tellement elles sont éclatantes. Se penchant pour les ramasser, il en fait immédiatement un collier dont il se pare sans plus attendre.
A peine a-t-il revêtu son nouvel atours qu'il est pris d'une étrange douleur. D'abord la poitrine, puis la douleur se diffuse très rapidement dans tout le corps. Bientôt, ses jambes ne le portent plus et s'enfoncent dans son tronc pour disparaître tout à fait. Ses bras se rétrécissent de même et le corps de Wayni n'est bientôt plus qu'un tronc qui s'allonge, s'allonge… Son cou et sa tête ne font bientôt plus qu'un tandis que son corps se couvre maintenant d'écailles multicolores, prenant des formes géométriques aux couleurs des pierres qu'il avait ramassées… La malédiction venait de frapper Wayni : il s'était transformé en un serpent multicolore de 8 m de long, condamné à hanter le Maroni!
Oui, vif comme l'éclair, le serpent dévorait tout ce qui osait s'aventurer sur le fleuve, qui était devenu son territoire. Poissons, animaux, oiseaux et même les hommes, le serpent les tuait et les mangeait tous. Au fur et à mesure qu'il grossissait, son appétit devenait de plus en plus grand et les ravages qu'il causait terrorisaient toute la région.
Après des mois de ravages, le chef du village décida enfin de réagir et fit appel à tous les animaux de la forêt.
- Je vous ai réuni aujourd'hui, commença-t-il, pour mettre un terme aux ravages que peut causer le serpent multicolore. Je recherche le plus courageux d'entre vous, celui qui sera capable de tuer le serpent. En récompense, la peau du serpent sera sa propriété.
Si cette peau de serpent les faisait tous rêver, le risque était trop grand et chacun trouvait une excuse.
- J'ai une famille à nourrir, s'excuse le maïpouri
- J'ai déjà chassé hier, poursuivit le pac.
- Je ne travaille pas le dimanche ! Se justifia le jaguar.
- Il fait trop chaud pour travailler, continua le caïman.
- Je ne sais pas nager, s'exclama le cochon bois.
Chacun se tirait d'affaire comme il pouvait… Le cormoran s'avança soudain devant le chef :
- Je vais le tuer moi ! Déclara-t-il devant la foule hilare.
- Tu es bien petit ! Répondit le chef, mais tu es courageux. Que les esprits te viennent en aide !
S'il ne faisait en effet pas le poids face à ce monstre de serpent, le cormoran avait beaucoup de malice et d'audace.
Prenant en son bec la flèche la plus effilée du village, l'oiseau s'éleva dans les airs et, repérant le serpent repu qui se reposait au fond du fleuve, plongea depuis les 1000m d'altitude auxquels il était arrivé. La flèche en bec, il fondit comme une balle sur le serpent qu'il tua net, transperçant sa tête de part en part.
Prenant la mesure de cet exploit, tous les animaux et les villageois sautèrent de joie. Le chef félicita chaleureusement le cormoran qui ne tarda pas à demander sa récompense… Mais le chef ne pouvait se faire à l'idée de voir cette magnifique orner autre chose que son habitation ; il essaya une dernière entourloupe :
- Si tu la veux vraiment, tu n'as qu'à la récupérer toi-même !
Les animaux partirent dans un rire que rien ne paraissait pouvoir arrêter, tant ils appréciaient la malice du chef. Nullement découragé, le cormoran remercia le chef et d'un coup de sifflet majestueux, rassembla autour de lui tout ce que la jungle connaissait d'oiseaux. Du plus petit au plus grand, ils avaient tous répondu à l'appel. Le tableau aurait pu être superbe si l'uniformité de leur plumage blanc avait connu la couleur, jusqu'alors réservé aux fleurs et aux papillons. - Mes amis, commença le cormoran, je vous ai réuni pour que vous m'aidiez à récupérer la récompense qui m'est due. A nous tous, nous allons plonger et ramener la peau du serpent multicolore hors de l'eau. Ensuite nous nous la partagerons parce que nous appartenons tous à la même famille. Celle des oiseaux !! En quelques secondes, la peau du serpent fut ramenée sur les berges du Maroni. Chacun des oiseaux découpa alors un morceau avec lequel il s'envola. Et c'est alors qu'une chose incroyable se produisit. La couleur de la peau du serpent devint tout à coup toute blanche tandis que le plumage des oiseaux se colorait de couleurs magnifiques, correspondant à celles du morceau de peau qu'ils avaient prélevé. C'est depuis ce jour, et depuis ce jour seulement que les oiseaux du Maroni portent les plumages colorés extraordinaires que nous leur connaissons… Mais c'est également depuis ce jour que les Indiens, furieux d'avoir vu cette peau leur échapper, se mirent à chasser des oiseaux, pour en récupérer les plumes...